http://www.eleveur-laitier.fr/actualites/loi-egalim-difficile-de-croire-au-changement-1,5,1149202589.htmlLa loi Égalim(1) fait le pari qu’en augmentant les marges de la distribution, on crée de la valeur qui peut revenir jusqu’aux producteurs. Une théorie qui peine à convaincre.
Le monde agricole attendait une meilleure valorisation de ses produits. Les associations espéraient une alimentation plus saine et une agriculture plus verte. À tous, les États généraux de l’alimentation ont donné des espoirs. Mais le texte voté le 2 octobre ne semble satisfaire personne.
La logique du gouvernement est claire : « En relevant le seuil de revente à perte (SRP) de 10 % sur les produits agricoles et alimentaires, en encadrant les promotions (maximum de 25 % en volume et 34 % en valeur), on dégage environ 2 Md€ par an. Cette valeur, il faut que les transformateurs aillent la chercher chez les distributeurs pour qu’elle revienne dans la poche des producteurs. L’inversion du prix pour partir du coût de production et les indicateurs interprofessionnels de marché doivent les y aider », plaide Olivier Allain, agriculteur et élu en Bretagne. Il a coordonné les États généraux de l’alimentation.
Pour Emmanuel Macron, « l’État a fait le job ». À la filière de s’emparer des outils pour que les producteurs obtiennent des revenus décents. Sur le papier, l’idée est séduisante. Il faut d’abord que l’interprofession sorte des indicateurs de coût de production et de valorisation. Les filières attendent aussi les ordonnances qui vont majorer le seuil de revente à perte, encadrer les promotions et définir le cadre de l’interdiction des prix abusivement bas. Elles sont prévues en novembre.
Une prise de conscience
Ce pari peut-il réussir ? Quelques arguments militent pour une réponse positive. Il existe une réelle prise de conscience de la nécessité de payer les produits agricoles à un prix plus juste. Même Michel Édouard Leclerc le dit (sur RTL) : « Je suis d’accord pour aider le monde agricole qui vit une crise sociale et de modèle. » Mais il s’empresse d’ajouter que « les modèles agricoles sont trop uniformes. Il faut diversifier pour créer de la valeur ». Sans être candides, la plupart des acteurs de la filière affirment qu’ils veulent y croire (voir ci-contre).
Par ailleurs, l’interdiction de vente à des prix abusivement bas pourrait donner des résultats si les sanctions sont suffisamment dissuasives.
Enfin, la guerre des prix ne profite qu’aux consommateurs. Les industriels et les distributeurs saisiront peut-être cette opportunité d’en sortir. « La distribution veut changer de modèle, chercher la qualité plus que le volume », affirme cet acheteur d’une grande enseigne.
Les freins sont nombreux. D’une part, 40 % du lait français est exporté, 45 % passe par le commerce et 15 % est vendu via la RHD (restauration hors domicile). Sur le marché intérieur,
les importations pèsent 23 %, une part en croissance. La concurrence est rude et
le prix français ne peut pas être déconnecté de celui de nos voisins. Cela limite la portée potentielle de la loi sur le prix du lait à la production. D’autre part, si
les nouvelles règles vont mécaniquement augmenter les marges de la distribution, pourquoi les partagerait-elle ? D’autant plus que la loi ne limite en rien sa puissance. Selon Olivier Mével, enseignant chercheur, « le SRP, censé lutter contre les prix prédateurs, va être détourné. Son augmentation va se transformer en cadeau pour celui qui sera le plus féroce dans les négociations ».
GMS : féroce concurrence
Car la concurrence entre les enseignes ne cesse de se durcir. Le commerce en ligne grignote leurs parts de marché. Les produits frais semblent à l’abri de ce mouvement et elles se battent pour garder leurs clients dans ces rayons.
Des clients qui, pour beaucoup, ont un faible pouvoir d’achat et qui vivraient mal un retour de l’inflation.Finalement, ces débats auront permis au moins de créer un consensus autour de la nécessité de stopper la guerre des prix. Ils mettent les filières face à leurs responsabilités : si elles veulent plus de valeur, à elles de la créer. La loi ne le fera jamais à leur place.
Elle se borne à les encourager à monter en gamme. « Il n’y a pas de budget supplémentaire, remarque Vincent Chatellier, économiste à l’Inra. La loi prévoit seulement de pénaliser ceux qui ne bougent pas, sur le bien-être animal par exemple. »
L’OP Bel a montré le chemin. En proposant un lait différent, elle a obtenu un meilleur prix en 2018. Les distributeurs cherchent à se démarquer et à mieux répondre aux demandes de leurs clients.
Des contrats tripartites (producteurs, industriels et distributeurs) peuvent naître de ce besoin avec, à la clé, une hausse de la valeur ajoutée pour les producteurs.
Mais ces perspectives encourageantes sont assombries par deux faits récents.
Bel assure qu’il ne parvient pas à obtenir des GMS un prix suffisant pour ses produits à base de lait de vaches nourries sans OGM. Pire, la guerre des prix s’étend au lait bio, proposé dans certains rayons à 0,85 €/l. Signe que pour certaines enseignes, rien n’a changé. Comment espérer alors que les négociations seront enfin plus sereines ?